La mode est, par essence, basée sur l’inspiration. Posez la question aux grands créateurs et vous serez surpris de connaitre l’origine de leurs plus belles pièces. Christian Dior, par exemple, s’est beaucoup inspiré… de son chien Bobby ! Pas une collection sans un tailleur portant le nom de son fidèle compagnon. C’est d’ailleurs pour cela que la directrice artistique de la Maison, Maria Grazia Chiuri, a nommé un des sacs qu’elle a créés pour la marque, le « Dior Bobby Bag ».
Mais, qu’en est-il lorsque des maisons de mode s’inspirent entre elles ? Aujourd’hui, il n’est pas rare de voir un modèle qui fonctionne, décliné sous toutes les enseignes. Zara est très souvent accusée d’imitation, mais elle est maintenant concurrencée par les géants chinois Shein, Ali Express et Temu, le petit nouveau.
Ainsi, en 2020, Zara a par exemple été condamnée pour avoir commercialisé deux imitations de modèles de la marque RAINS, la Long Jacket et le Parka Coat[1]. Shein, quant à elle, n’hésite pas à proposer des copies de modèles Zara, comme le montrent des vidéos TikTok comparant les modèles des deux enseignes en utilisant l’hashtag #zaradupe (imitation de zara). Ces vidéos cumulent d’ailleurs près de 39,9 millions de vues.
C’est donc un nouveau modèle de consommation qui se développe. Dans une étude menée par Business Insider en 2023, plus de 70% des sondés issus de la génération Z déclaraient acheter parfois, ou très régulièrement, des imitations[2].
C’est dans ce contexte que Chanel a décidé d’attaquer Jonak, en estimant que cette dernière a imité certains de ses codes identitaires dans plusieurs modèles de chaussures. Parmi ces codes, on retrouve l’emblématique modèle « sling-back » imaginé en 1957 par Gabrielle Chanel elle-même. Ces chaussures bicolores à brides sont, selon la Maison Chanel, le symbole de l’élégance et de la libération de la femme. Pour Gabrielle Chanel, ces souliers sont « le dernier point de l’élégance ». Ce modèle, devenu très vite un classique, fut d’ailleurs porté par Brigitte Bardot, Catherine Deneuve, Jane Fonda ou encore Romy Schneider.
La célèbre Maison accusait également Jonak de reprendre sa chaîne entrelacée dans certains de ses modèles. On ne présente plus le modèle de chaîne de Chanel que l’on retrouve sur de nombreux sacs iconiques ou encore sur ses tailleurs.
Alors, est-ce que le chausseur français Jonak se serait un peu trop inspiré de cet héritage lorsqu’il a commercialisé ses souliers Dhapou, Dhapop et Ivana ? C’est la question à laquelle la Cour d’Appel de Paris a dû répondre le 16 octobre dernier (CA Paris 16 octobre 2024 n°22-19513).
En effet, Jonak a commercialisé des souliers bicolores reprenant la couleur beige et le bout noir ainsi que des souliers reprenant la chaîne entrelacée. Est-ce une simple inspiration de la part du chausseur français ou cela est-il condamnable ?
En première instance, le Tribunal de Commerce de Paris a uniquement condamné le modèle avec la chaîne entrelacée (TC Paris 15ᵉ ch., 17 octobre 2022, RG 2021005707), raison pour laquelle Chanel a interjeté appel.
Le fondement de la demande de Chanel ne reposait pas sur des droits de propriété intellectuelle, mais sur le parasitisme. Le parasitisme est un acte de concurrence déloyale qui consiste, pour un concurrent, à s’immiscer dans le sillage d’un autre afin de tirer profit de ses efforts, de ses investissements, de son savoir-faire et/ou de sa notoriété. La notion de parasitisme s’appuie sur l’article 1240 du Code civil et a été développée par la jurisprudence (Cour de cassation, Chambre commerciale, 06 mai 1991, 89-16048 ; Cass. com., 16 févr. 2022, n° 20-13542). Ainsi, le parasitisme permet notamment de protéger les éléments non couverts par les droits de propriété intellectuelle et apparaît comme une alternative à l’action en contrefaçon.
Comme le rappelle la Cour d’appel de Paris dans sa décision, il convenait donc pour Chanel de rapporter la preuve de « l’existence d’une valeur économique individualisée résultant d’un savoir-faire, d’un travail intellectuel, d’une notoriété et d’investissements, l’inspiration ou l’évocation de cette valeur économique procurant un avantage concurrentiel à l’auteur des actes parasitaires, et une inspiration ou une évocation intentionnelle injustifiée et à titre lucratif ».
Pour démontrer cela, la Maison de luxe fournit de nombreux éléments tels que des sondages, des attestations de ses dépenses marketing et publicitaire par son commissaire au compte, des revues de presse, la preuve de l’exposition de ces chaussures dans des films, des musées, etc.
Ainsi, si la Cour d’appel précise que « l’association de ces deux couleurs (beige et noir), au demeurant classiques pour des chaussures, ne saurait être appropriable en soi », Chanel a pu démontrer la valeur économique individualisée et ainsi s’opposer à la commercialisation de certains modèles par Jonak.
La Cour d’appel a tranché en faveur de la Maison de la rue Cambon et a condamné Jonak à verser 150.000 euros au titre de préjudice économique et 30.000 euros au titre de préjudice moral. Elle lui a aussi ordonné de cesser la vente des modèles concernés dans cette association de couleurs et de les retirer du marché, dans un délai d’un mois au risque de se voir assigner une astreinte de 1000€ par jour de retard.
Cette affaire démontre qu’il existe de nombreux moyens pour protéger ses créations.
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Par Kelly PHAETON