Afin de limiter le recours à la rupture conventionnelle pour mettre un terme aux contrats de travail des salariés en âge de partir à la retraite, un nouveau régime social des indemnités versées dans le cadre d’une rupture amiable entrera en vigueur à compter du 1er septembre 2023. Ce changement va-t-il conduire à une diminution de l’utilisation des ruptures conventionnelles ?
La rupture conventionnelle est un mode de rupture du contrat de travail qui rencontre un franc succès depuis sa création.
Introduit par la loi portant modernisation du marché du travail du 25 juin 2008, la rupture conventionnelle, qui permet à l’employeur et au salarié de convenir en commun des conditions de la rupture du contrat de travail qui les lie, rencontre depuis cette date un certain succès.
Ce mode de rupture, possible pour les contrats de travail à durée indéterminée, présente des avantages tant pour l’employeur que pour le salarié.
Du côté de l’employeur, il s’agit d’un mode de rupture sécurisant dès lors que sa validité peut difficilement être remise en cause après signature. D’un point de vue procédural, ce mode de rupture est sans doute moins exigeant qu’une procédure de licenciement.
Du côté du salarié, la rupture conventionnelle lui permet de quitter rapidement un emploi tout en bénéficiant de l’assurance chômage et d’indemnités de fin de contrat comparables à celles perçues en cas de licenciement. Relevons toutefois que le salarié ne percevra les indemnités Pôle Emploi qu’à l’issue d’un délai de carence, déterminé en fonction des indemnités qu’il aura perçues, dans la limite de 5 mois.
CONCRÈTEMENT, COMMENT CONCLURE UNE RUPTURE CONVENTIONNELLE ?
En pratique, l’employeur et le salarié conviennent du principe d’une rupture conventionnelle lors d’un ou plusieurs entretiens au cours desquels le salarié peut, s’il le souhaite, être assisté[1], de la même manière que dans le cadre d’une procédure de licenciement. L’employeur pourra également être assisté.
Une convention de rupture est ensuite rédigée afin de préciser ses modalités ainsi que le montant de « l’indemnité spécifique de rupture conventionnelle » qui sera versée au salarié. Aux termes de l’article L1237-13 du Code du travail, le montant de l’indemnité spécifique de rupture conventionnelle ne peut pas être inférieur à celui de l’indemnité prévue à l’article L. 1234-9 du Code du travail, c’est-à-dire au montant de l’indemnité légale de licenciement.
Les parties prévoient également, dans le cadre de la convention de rupture conventionnelle, la date de rupture du contrat qui marque le départ du salarié de l’entreprise. Cette rupture ne peut toutefois pas intervenir avant le lendemain du jour de l’homologation de la convention par l’autorité administrative.
Dans les faits, il faut donc compter environ 1,5 mois pour qu’une rupture conventionnelle soit mise en œuvre, ce délai tenant compte :
- Du ou des entretiens avec l’employeur suivi de la signature de la rupture conventionnelle,
- Du délai de rétractation de 15 jours calendaires dont disposent le salarié et l’employeur à compter de la date de signature de la rupture conventionnelle,
- Du délai de 15 jours ouvrables dont dispose l’autorité administrative pour instruire la demande d’homologation de la rupture conventionnelle à compter du lendemain de la réception de la demande d’homologation par la partie la plus diligente via le site TéléRc.
À l’issue de cette procédure, en l’absence de notification particulière de l’administration, l’homologation est réputée acquise. Précisons que, pour les salariés protégés, une procédure spécifique devra être mise en œuvre et la rupture restera soumise à l’autorisation de l’inspecteur du travail.
Tel que ci-dessus décrit, l’utilisation de la rupture conventionnelle est une solution qui doit être envisagée lorsqu’une rupture de contrat est souhaitée par l’employeur ou par le salarié, en l’absence de différend ou de difficultés économiques.
Cela étant, les statistiques ont mis en évidence une augmentation significative du nombre de ruptures conventionnelles chez les salariés âgés de plus de 50 ans (+3% en 2019, +3,2% en 2020, +4,1% en 2021 selon la DARES). Ce constat s’explique par le régime social favorable de l’indemnité de rupture conventionnelle comparativement au régime social des indemnités de mise à la retraite.
Pour cette raison, la loi n°2023-270 du 14 avril 2023 portant réforme des retraites prévoit une unification du régime social des indemnités de mise à la retraite et des indemnités de rupture conventionnelle à compter du 1er septembre 2023 dans le but de favoriser le maintien dans l’emploi des seniors.
Pour comprendre cette réforme, il est donc nécessaire de comparer le régime social applicable aux indemnités de rupture conventionnelle et aux indemnités de mise à la retraite avant et après le 1er septembre 2023.
Quelques explications sur le nouveau régime social applicable aux ruptures conventionnelles après le 1er septembre 2023
Actuellement, le régime social de l’indemnité de rupture conventionnelle du CDI dépend de l’âge du salarié avec lequel la rupture est conclue.
Lorsque le salarié n’a pas l’âge de la retraite, l’indemnité de rupture conventionnelle homologuée est soumise au même régime social que l’indemnité de licenciement. L’indemnité est ainsi exclue de l’assiette des cotisations sociales pour sa part non imposable, dans la limite maximale de 2 fois le plafond annuel de la Sécurité sociale (PASS) (art. L. 242-1 du Code de la Sécurité sociale). L’employeur doit en revanche payer le forfait social 20 % à l’URSSAF pour la part de l’indemnité exonérée de cotisations sociales, indépendamment de son assujettissement à la CSG /CRDS. (art. L. 137-15 du Code de la Sécurité sociale).
Exemple simplifié :
- Indemnité de rupture conventionnelle : 100.000 € brut
- Montant de l’indemnité conventionnelle exonérée de cotisations sociales correspondant à 2 PASS : 87.984€
- Cotisations sociales applicables sur 12.016€ (100.000€ – 87.984€)
- Forfait social à 20% applicable sur 87.984€
En revanche, si le salarié peut liquider sa retraite au moment de la rupture, les indemnités de rupture conventionnelle du CDI sont intégralement soumises, dès le premier euro, aux cotisations de Sécurité sociale ainsi qu’à la CSG et à la CRDS, sans abattement (art. 80 duodecies du Code général des impôts). Dans cette hypothèse, en revanche, aucun forfait social ne doit être versé par l’employeur à l’URSSAF.
Si l’on reprend notre exemple, seules les cotisations sociales seront ici applicables sur 100.000€.
En matière de mise à la retraite, l’indemnité due au salarié est soumise au même régime social que l’indemnité de licenciement. Jusqu’à présent, l’employeur était en revanche contraint de payer à l’URSSAF un forfait social de 50 % assis sur le montant total de l’indemnité versée au salarié (CSS, art. L. 137-12).
- Indemnité de rupture conventionnelle : 100.000 € brute
- Montant de l’indemnité conventionnelle exonérée de cotisations sociales correspondant à 2 PASS : 87.984€
- Cotisations sociales applicables sur 12.016€ (100.000€ – 87.984€)
- Forfait social à 50% applicable sur 100.000€
Cette taxe sociale significative pouvait justifier que l’employeur ait plutôt recours à une rupture conventionnelle, dont le régime était plus favorable, pour les salariés en âge de liquider leur retraite.
À compter du 1ᵉʳ septembre 2023, une nouvelle contribution patronale de 30% sera instaurée. Cette cotisation s’appliquera de manière unifiée aux indemnités de rupture conventionnelle, peu importe l’âge du salarié concerné, et aux indemnités de mise à la retraite.
Seront donc soumis à une contribution patronale de 30% à compter du 1er septembre 2023 :
- les indemnités versées dans le cadre d’une rupture conventionnelle de CDI pour leur part exclue de l’assiette des cotisations sociales,
- les indemnités versées dans le cadre d’une mise à la retraite du salarié à l’initiative de l’employeur, pour leur part exclue de l’assiette des cotisations sociales.
Si l’on reprend notre exemple :
- Indemnité de rupture conventionnelle ou de mise à la retraite : 100.000 € brute
- Montant de l’indemnité conventionnelle ou de mise à la retraite exonérée de cotisations sociales correspondant à 2 PASS : 87.984€
- Cotisations sociales applicables sur 12.016€ (100.000€ – 87.984€)
- Forfait social à 30% applicable sur 87.984€
L’objectif affiché de cette réforme est de limiter le recours aux ruptures conventionnelles pour les salariés seniors afin de les maintenir dans l’emploi. Corrélativement, elle conduit également à une majoration du forfait social qui est dû par l’employeur pour toutes les ruptures conventionnelles peu importe l’âge du salarié concerné.
Il est encore tôt pour analyser l’impact de cette réforme sur le recours aux ruptures conventionnelles. Si le maintien des seniors pourrait être favorisé, l’on peut craindre que les employeurs soient moins enclins à conclure des ruptures conventionnelles du fait de la majoration du forfait social applicable.
[1]
• soit par une personne de son choix appartenant au personnel de l’entreprise, qu’il s’agisse d’un salarié titulaire d’un mandat syndical ou d’un salarié membre de la délégation du personnel au comité social et économique (CSE), ou tout autre salarié ;
• soit, en l’absence d’institution représentative du personnel dans l’entreprise, par un conseiller du salarié choisi sur une liste dressée par l’autorité administrative. Cette liste est consultable auprès de la Direction régionale de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités (DREETS – DDETS), précisément dans chaque section d’inspection du travail, et dans chaque mairie.
Par Améla ARDANUY