21,8 millions d’euros. C’est le prix de l’œuvre de street art la plus chère au monde et elle a été réalisée par l’artiste Banksy. Longtemps considérée comme une pratique illégale, les tags et graffitis ont maintenant leur place au sein des galeries d’art. On ne parle d’ailleurs plus de graffitis ou de graffeurs, mais bien de street art et de street artistes. Aux Antilles, les œuvres de street art sont très présentes. Il suffit de se balader à Fort-de-France ou à Pointe-à-Pitre pour les admirer. Mais est-ce que les artistes connaissent leurs droits et ont conscience de la protection dont bénéficient leurs créations ?
L’évolution du statut des œuvres de street art
Le street art, comme son nom l’indique, est né dans la rue. Souvent utilisé pour faire passer des messages de contestation ou comme un acte de rébellion, il fut longtemps interdit. Un temps considéré comme marginal, c’est un art qui échappe aux cadres et qui est donc difficilement appréhendable par le droit.
Ainsi, paradoxalement, si des œuvres de street art sont parfois commandées par des collectivités ou des mairies, comme c’est le cas dans le 13ᵉ arrondissement de Paris, les street artistes peuvent aussi être condamnés pour dégradation de biens publics lorsqu’ils n’ont pas d’autorisation.
À cet égard, l’article L322-1 du Code pénal punit de 3750 euros d’amende et d’une peine de travail d’intérêt général le fait de tracer des inscriptions, des signes ou des dessins, sans autorisation préalable, sur les façades, les véhicules, les voies publiques ou le mobilier urbain.
Le droit de propriété étant quasiment sacré en France, le même article punit de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende, la destruction, la dégradation ou la détérioration d’un bien appartenant à autrui. Il est donc fortement recommandé aux artistes d’obtenir une autorisation préalable des propriétaires. C’est d’ailleurs ce que faisait la célèbre Miss Tic avant d’apposer ses emblématiques pochoirs depuis sa condamnation en 1999 pour dégradation en raison de l’apposition d’un pochoir sur lequel était inscrit « Égérie et j’ai pleuré ».
Malgré ces contraintes, l’art urbain ne cesse de se développer et tend à quitter la rue pour intégrer les galeries d’art et les musées. Véritable expression de liberté, la pratique du street art est en parfaite adéquation avec la lettre de la loi du 7 juillet 2016 relative à la liberté de création, à l’architecture et au patrimoine qui prévoit en son article 1er que “la création artistique est libre”. Cette liberté avait auparavant été consacrée par la Cour européenne des droits de l’homme en 1988 qui affirme que « ceux qui créent, interprètent, diffusent ou exposent une œuvre d’art contribuent à l’échange d’idées et d’opinions indispensables à une société démocratique » (CEDH, 24 mai 1988, Müller et autres c. Suisse, req. n° 10737/84).
Entre liberté artistique et protection des biens privés ou publics, le fil est mince et les juges doivent trouver le bon équilibre. Par ailleurs, on peut également s’interroger sur le statut de ces œuvres par rapport au droit d’auteur.
La protection par le droit d’auteur
L’article L112-1 du Code de la propriété intellectuelle protège “toutes les œuvres de l’esprit, quels qu’en soient le genre, la forme d’expression, le mérite ou la destination”. Ainsi, personne ne peut refuser la protection au street art, sous réserve qu’il soit original, en invoquant le fait qu’il s’agisse d’un art urbain.
De même, le fait d’utiliser un pseudonyme ou de ne pas signer les œuvres, ne peut retirer aux street artistes les bénéfices de la protection du droit d’auteur (article L113-6 du même code).
Enfin, le caractère éphémère de l’œuvre ne lui retire pas la protection par le droit d’auteur. C’est ce que la Cour d’appel de Paris a affirmé dans un arrêt portant sur une installation artistique de l’artiste Christo qui avait emballé le Pont-Neuf et ses lampadaires à l’aide d’une toile tissée (Cour d’appel de Paris, 13 mars 1986 85/16 542 Sté Sygma, Gamma, et a.c/J.C).
Il y a une distinction entre l’œuvre et son support, car l’article L111-3 du code précité distingue entre la propriété incorporelle et la propriété de l’objet matériel. C’est pourquoi, en l’absence de cession de droit d’auteur, l’artiste reste titulaire des droits d’auteur, même s’il a vendu son œuvre. C’est notamment ce qu’on a pu voir lorsque Banksy a auto-détruit une de ses œuvres lors d’une vente aux enchères en 2018.
Si rien ne semble s’opposer à la protection par le droit d’auteur des œuvres de street art, il convient quand même de prendre en considération leur caractère légal ou illégal ainsi que les droits relatifs à la propriété privée.
La Cour de cassation a plusieurs fois affirmé que l’œuvre doit être licite pour bénéficier de la protection du droit d’auteur. Ainsi, dans un arrêt du 28 septembre 1999, elle a reconnu qu’une œuvre pornographique bénéficie de la protection du droit d’auteur en l’absence de preuve de son caractère illicite (Cour de cassation, 28 septembre 1999, n°98-83.675).
Concernant précisément le street art, la Cour de cassation a affirmé que “l’auteur d’une œuvre graphique illicite est privé de la jouissance des droits qu’il détient au titre de la propriété littéraire et artistique” et a souligné l’importance de rechercher si l’artiste avait obtenu l’autorisation expresse du propriétaire préalablement à toute apposition d’éléments graphiques sur sa façade (Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 20 juin 2018, 17-86.402).
Si les street artistes doivent demander l’autorisation avant d’apposer leurs œuvres sur les espaces publics ou privés, ceux qui veulent exploiter ces œuvres doivent impérativement obtenir l’autorisation de ces artistes. En effet, la jurisprudence récente a fortement évolué et considère pleinement le street art comme une œuvre de l’esprit méritant une protection. C’est ce que montre le retentissant arrêt du 5 juillet 2023 qui a condamné Jean-Luc Mélenchon et la France Insoumise pour avoir utilisé une œuvre de l’artiste Combo dans un clip de campagne sans son autorisation (Cour d’appel de Paris – Pôle 5 – Chambre 1, 5 juillet 2023 / n° 21/11317).
Que vous soyez street artiste ou que vous souhaitiez utiliser des œuvres de street art, n’hésitez pas à contacter le cabinet LegalProtech-Avocats qui saura vous accompagner dans la défense et la valorisation de vos droits.
Par Kelly PHAETON